lundi 12 mars 2012

Jean Carriès ou l'ange du bizarre

Jean Joseph Marie Carriès est né à Lyon en 1855 dans une famille très modeste. Orpheline à six ans, il devient apprenti chez un sculpteur local. Il suit des cours aux Beaux-Arts de Lyon, puis de Paris. A cette période, son matériau favori est le plâtre qu'il patine de façon très complexe pour obtenir des effets surprenant.


Manuel Gonzales Mendes (1843-1909). Portrait de Jean
Carriès. Huile sur toile, 1876.


Photographie de Jean Carriès en 1876.


A cette époque il est passionné par l'Art Gothique qu'il étudie dans les églises. Ses œuvres font sensation au Salon de 1880 par leur caractère parfois inquiétant, notamment sa Tête de Charles 1er d'Angleterre décapité. Beaucoup seront tirées en bronze plus tard.

Guerrier. Plâtre patiné, avant 1884.


Tête de Charles 1er. Plâtre patiné, vers 1880.


Le Cabotin. Bronze, 1892 d'après un plâtre d'avant 1885.


En 1878, il tombe en admiration devant les grès du Pavillon Japonais à l'Exposition Universelle de Paris. Soutenus par des amis, il s'initie à la technique et ouvre un atelier à St-Sauveur-en-Puisaye, une petit ville de Bourgogne située à mi-chemin de la Charité sur Loire et Gien. Cette petite citée est devenue le centre de l'art du grès à la fin du XIXème siècle. Grâce à l'aide de ses compagnons, il acquiert un technique remarquable. 


John Singer Sargent. Portrait de Jean Carriès
Huile sur toile, 1880.


Il rencontre Gauguin en 1886 qui le soutient dans cette voie. Il expose ses premières pièces en 1888.


Vases en grès émaillé. 



Le Mendiant Russe dit Le Désespéré. Bronze, 1887.


Cette même année 1888, il reçoit une commande tout à fait étonnante de la part de Winnaretta Singer (1865-1943). Fille du richissime Isaac Merritt Singer, fondateur de l'usine de machines à coudre du même nom. Elle a passé sa jeunesse entre Paris et l'Angleterre. Pianiste et organiste, c'est une passionnée de musique qui a demandé comme cadeau pour son quatorzième anniversaire l'exécution du 14ème Quatuor de Beethoven (que personne ne comprenait à l'époque). 
Orpheline de père très jeune, elle est immensément riche. Mariée en 1887 au Prince de Scey-Montbéliard, le mariage sera annulé en 1892 par le Vatican. Elle vit donc seule à Paris.


Photographie de Winnaretta Singer en 1890.



Elle a acheté le manuscrit de Parsifal de Wagner et demande à Carriès de monter une porte monumentale au salon de son hôtel particulier parisien qui renfermerait la précieuse relique.


Louise-Catherien Breslau (1856-1927). Jean Carriès dans 
son atelier. Huile sur toile, 1887.




Carriès va y travailler jusqu'à sa mort prématurée, y laissant sa santé et ses moyens financiers. La porte devait être en grès émaillé et peser plus de 20 tonnes. Un dessin d'Eugène Grasset permet de se faire un idée de l'aspect général de la porte.




Il existe aussi une maquette en plâtre de taille réduite modelée dans l'atelier de Carriès.




A partir de ces éléments, on a pu reconstituer par ordinateur, l'impression générale qu'aurait donner cette construction si elle avait été mise en place.




Ce qui est tragique, dans cette affaire, c'est qu'il existait une maquette en plâtre grandeur nature de la porte, qui a été exposée au Musée du Petit Palais entre 1904 et 1934. En 1935, le conservateur Raymond Escholier (1883-1971) l'a fait détruire pour "faire de la place" pour une exposition sur l'art italien. Les débris ont été évacués jusqu'à la fin des années 40. Escholier a été récompensé par le grade de Commandeur de la Légion d'Honneur !


Photographie de la salle Carriès au Petit Palais. 1904-1934.




C'est dans cette porte que Carriès donne libre court à son imagination débridée, s'inspirant aussi bien des gargouilles de cathédrales que des masques japonais, des animaux réelles à des animaux fantastiques, des représentations naturalistes à des caricatures. Sa porte aurait du être un monde grouillant digne de Tolkien. Si l'ensemble n'a jamais pu être achevé, il en reste heureusement de nombreux éléments disparates mais admirables.

Le Grenouillard. Grès émaillé. Vers 1891.



Grenouille. Grès émaillé. Vers 1890.


Faune. Grès émaillé. 1890-1892.


Grenouille à oreilles de lapin. Grès émaillé, 1891.


Masque. Carreau de grès émaillé, 1891-1894.


Masques accolés. Grès émaillé, entre 1891 et 1894.


Autoportrait. Grès émaillé, 1891-1892.


Photographies des ateliers de Jean Carriès 
vers 1885-1890.



Fragments des piliers de la porte dite 
Porte de Parsifal, 1888-1894.



Quelques détails des masques et des sujets de la porte.








En 1892, fait une exposition triomphale au salon de Société Nationale des Beaux-Arts. En dehors de la porte qui lui prend un temps infini et qu'il considérait comme son chef-d'œuvre, il modèle aussi des pièces fascinante comme La Novice au regard hallucinée.


La Novice. Plâtre patiné, 1893.




Jean Carriès a toujours eu une santé fragile, étant tuberculeux depuis son jeune âge. La Porte de Parsifal devient pour lui une obsession qui use ses forces et ses moyens financier. En juillet 1894, une pleurésie se déclare doublée d'un abcès au poumon. Il meurt chez son ami, le designer et collectionneur Georges Hoentschel (1855-1915). Il a seulement 39 ans.


Photographie de Jean Carriès par 
Félix Tournachon dit Nadar.




A sa mort, sa gloire est immense, mais rapidement, il va être oublié et ses étranges créatures seront considérées comme le fruit d'un esprit dérangé. Il faudra attendre les années 1990 pour que l'on redécouvre l'œuvre de cet immense artiste.

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